Vivons-nous dans un Univers-bloc ?

Quelle est la nature du temps en physique ? La question pourrait tout autant vous paraitre absurde que vous plonger dans un gouffre de perplexité.

Pour certains physiciens, positivistes pour la plupart, le temps c’est le paramètre tt, il est ainsi donné par définition et il n’y a pas lieu d’en chercher sa nature. Pour d’autres, le temps pourrait être émergeant, non fondamental, d’origine entropique, voir anthropique. Une question à ce jour toujours ouverte.

Mieux le comprendre nous permettrait peut-être de concilier mécanique quantique et relativité générale, tant il joue un rôle différent dans les deux théories. Peut-être sa compréhension est-elle la clé d’une nouvelle représentation du monde.

Dans cet article, point autant d’ambition, et nous ne ferons qu’effleurer la question, en nous demandant seulement si nous vivons dans un Univers-bloc ? Nous utiliserons pour cela quelques éléments de relativité.

Tout le sujet au fond, revient à savoir si le temps se réalise, en quelque sorte, dans un flux continu d’événements, comme un présent sans cesse renouvelé, ou s’il est tel un lac gelé, et l’Univers, une structure géométrique statique, ou le passé, le présent et le futur, coexistent de toute éternité.

Introduction

Certains auront tôt fait de qualifier la question de métaphysique. Sans doute pour l’avoir assez mal étudié, ne pas avoir pris la peine de se pencher dessus. Tant dès l’annus mirabilis de 1905, l’article sur la relativité restreinte d’Einstein la rend déjà prégnante, et comme la presse s’en fera ensuite l’écho.

Il existe, à partir des théories de la relativité, de nombreux arguments qui amènent à penser que nous vivons dans un Univers-bloc. Cela va de la lecture directe de diagrammes d’espace-temps, à des arguments plus imagés comme celui de Rietdijk–Putnam, plus connu sous le nom de paradoxe d’Andromède et popularisé par Penrose.

Nous allons dans la partie qui va suivre développer un argument de cet ordre basé sur la non-simultanéité.

Une histoire de train

Considérons un observateur sur un quai de gare, et un train à vitesse relativiste passant devant lui. A partir des seuls postulats de la relativité restreinte, principe de relativité et constance de la vitesse de la lumière, on arrive à la conclusion que le maintenant à l’intérieur du train est différent de celui sur le quai.

En effet, si je pouvais prendre en photo un train se déplaçant à vitesse relativiste dans une direction transversale au quai, une horloge en tête du train indiquerait une heure retardée par rapport à une horloge en bout, du simple fait qu’un photon émit depuis le centre du train, mettrais de mon point de vue plus de temps à atteindre l’avant, qui s’éloigne de lui, que l’arrière qui se rapproche. Ce qu’un simple schéma nous permet de mieux se représenter.

En effet, a l’interieur du train, deux observateurs, l’un à chaque extrémités du train, verront en vertu du principe de relativité, la lumière émise au même instant, leurs montres indiquent la même heure.

Maintenant, depuis l’extérieur, du point du vue de l’observateur sur le quai, la lumière atteindra d’abord la personne à l’arrière du train (qui file vers la lumière) puis ensuite seulement celle à l’avant (qui file dans la direction opposé à celle de la lumière).

Aussi du point de vue du quai, les horloges à l’avant et à l’arrière ne peuvent pas indiquer la même heure, car quand la lumière émise depuis le centre du train parvient à l’observateur situé à l’arrière, elle n’est pas encore parvenue à l’avant.

Si à ce moment là les deux montres indiquent la même heure, quand la lumière parviendra à l’avant, l’observateur situé là devrait alors noter une heure ultérieure à celle de l’observateur à l’arrière, et nous décririons alors deux réalités différentes et contradictoires.

Aussi, il est nécessaire que du point de vue du quai, l’heure à l’avant du train soit retardée par rapport à celle à l’arrière.

Un train de longueur relativiste

Considérons maintenant le même train, mais considérablement plus grand, disons de quelques années lumières. Imaginons deux protagonistes, Albert et Bernhard ayant synchronisés leur horloge et qui avant le départ se séparent afin d’aller rejoindre un bout et l’autre du train. Cet exemple est ici le même que précédemment, mais l’image est plus frappante.

Si notre photographe extérieur était assez éloigné pour cadrer tout le train et prenait une photo, il verrait un train flambant neuf à l’avant et vieillit à l’arrière, et un Albert beaucoup plus vieux que Bernhard.

De son côté, Albert dans son maintenant sait que l’horloge de son ami est synchronisé avec la sienne, et si tous deux se rejoignaient au centre du train, ils auraient toujours le même écart d’âge, ou s’ils ont convenu de manger tous les jours à la même heure, Albert sait qu’au moment ou il mange Bernhard doit être en train de faire de même.

Pourtant du point de vue de l’observateur à l’extérieur ce n’est pas du tout la même chose. Dans son maintenant à lui, il existe un écart bien plus important qu’il ne l’était avant que le train commence à rouler.

Pourtant, ce maintenant est tout aussi réel, et puisque il se trouve au sommet d’un triangle à même distance de l’avant et l’arrière, avec des photons à vitesse constante, il doit en déduire qu’ils ont été émis au même moment.

Ils existe donc deux présents tout aussi réels l’un que l’autre.

Multiplions les observateurs

On peut aller encore plus loin en imaginant un dernier observateur qui traverserait la gare à une vitesse bien supérieure au train. En raison du seul principe de relativité, de son point de vue, le train se trouve être en mouvement dans la direction opposée.

Dès lors, nos deux observateurs pourraient se trouver au même endroit, et tandis que l’un verrait un Albert vieux et un Bernhard jeune, l’autre verrait Albert jeune et Bernhard vieux.

Nous pourrions enfin imaginer tout un ensemble d’observateurs, au même endroit, au même instant, couvrant un spectre suffisament large de vitesses, leur permettant de couvrir toute la temporalité du train.

Discussion

Cet argument, comme ceux du même ordre, permet-il de démontrer la coexistance de tous les instants dans la réalité au sein d’une structure statique ? Si le modèle proposé par la relativité restreinte est juste, ce que toutes les expériences à ce jour corroborent alors nous devons l’admettre. Il est conséquence du modèle de la réalité le plus éprouvé que nous ayons.

Pour autant, tous les physiciens ne sont pas d’accord, certain partageant l’avis d’Avshalom Elitzur :
Je suis fatigué de cet Univers-bloc. Je ne pense pas que le prochain mardi possède la même source que ce mardi. Le futur n’existe pas. Ontologiquement, il n’est pas là.”, sans pour autant proposer des alternatives convaincantes.

Mais s’il est une conséquence du modèle dominant, peut-on pour autant le démontrer au travers d’une expérience ?

La réponse pourrait venir de la mécanique quantique, d’une meilleure interprétation. On a tendance à penser que cette dernière s’oppose à l’Univers-bloc. Bien au contraire, les expériences à choix retardé indiquent qu’un état présent peut dépendre d’une décision qui sera prise dans le futur.

En d’autres termes, bien que nous n’ayons aucune vision claire englobant les deux théories, l’Univers-bloc est une conséquence de la relativité et peut être considéré comme vérifié expérimentalement par la mécanique quantique. Si comme tout résultat scientifique, il n’est jamais acquis, il parait difficile de développer une représentation alternative.

Conclusion

Dans mon livre Mécaniques - des fragments d’espace-temps, actuellement en précommande, et dont cet argument est extrait, je développe plus en profondeur ces idées.

Aussi étrange que cela puisse nous paraitre, il est plus que vraisemblable que nous vivions dans un Univers-bloc, que notre existence soit inscrite de toute éternité dans la trame de cette réalité qui est notre. Il est tout aussi étrange, peut-être plus encore, que nous puissions par le seul usage de la raison, aboutir à cette conclusion.

En 1955, suite au décès de son ami Michèle Besso, Einstein écrivait à sa famille :
Voilà qu’il m’a de nouveau précédé de peu, en quittant ce monde étrange. Cela ne signifie rien. Pour nous, les physiciens convaincus, cette séparation entre passé, présent et avenir, ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit elle.


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