Big bang ou grand rebond ?

Introduction

L’humain, de tous temps, s’est interrogé sur l’origine du monde, le moment supposé de sa création. Notre histoire est parsemé de multiples cosmogonies, récits mythologiques expliquant la formation de l’Univers. Certaines, imaginaient la Terre portée par quatre éléphants, eux même reposant sur le dos d’une tortue géante. Une plus récente, plus rigoureuse aussi, raconte que notre Univers serait issue il y a de cela 13,8 milliards d’années d’une singularité gravitationnelle appelée Big Bang, d’ou serait apparue la matière qui nous compose, les étoiles et les galaxies, et puis enfin la vie. Une théorie, ou modèle, qui n’expliquerait, nous allons le voir, qu’un versant du réel.

Si le modèle du Big Bang reste à ce jour le plus populaire, conséquence de la théorie de la relativité générale, il marque par ailleurs une limite à notre compréhension de l’Univers. La singularité initiale dont il est issue est un angle mort du modèle qui traduit une pathologie de la théorie qui l’implique. Si les mathématiques de la relativité générale sont d’une rare élégance, il parait tout de même invraisemblable que les singularités qui apparaissent dans la théorie manifestent de la réalité physique, traduisant sans doute plus une incompatibilité entre les mathématiques utilisées et la structure du réel. Comme l’écrit Sir Roger Penrose dans A la découverte des lois de l’Univers : “Nous devons nous demander si la continuité spatio-temporelle, qui est un parti pris quasiment universel à toutes les théories de la physique, est vraiment la bonne approche mathématique pour décrire les constituants ultimes de la nature”.

Il est bien entendu que le Big Bang, dans les grandes lignes au moins, décrit assez fidèlement l’origine et l’histoire de l’Univers, cependant, depuis quelques années déjà, des développements mettent à mal cette idée d’origine. Citons par exemple le modèle de pré-Big Bang de Gabriele Veneziano en théorie des cordes ou bien celui de Big Bounce de Martin Bojowald en gravitation quantique à boucles. Ils supposent qu’avant le Big Bang l’Univers existait déjà et se serait effondré sous l’effet de sa masse. En réalité ces scénarios, ne sont pas véritablement nouveaux, et en un sens on trouve déjà des idées similaires dans les travaux d’Andreï Sakharov. On peut même, s’aventurer plus loin encore et remonter jusqu’à Boltzmann. C’est une idée que je développe dans le livre dont les paragraphes qui suivent sont extraits.

Le modèle de Boltzmann

Il y a plus de 100 ans déjà, Boltzmann avait anticipé, en quelque sorte, les idées qui vont suivre. C’est en constatant que les lois de Newton sont réversibles, qu’il en déduisit que le temps devait normalement s’écouler dans les deux directions qui nous sont familières, deux flèches du temps à la direction opposée, ou en d’autres termes, l’existence dans l’Univers de régions antichrones. Il y a bien là dans cette intuition quelque chose de magnifique. Une conséquence purement logique, inattendue, et qui laisse imaginer des mondes ou le temps passe à l’envers, comme d’autres ou les gens marchent la tête en bas.

Prenez les lois de Newton, et leur réversibilité temporelle, et considérez le temps comme une dimension. Prenez alors un grand cube contenant toute la matière, ou plutôt, considérez un ensemble de tels cubes causalement reliés linéairement par les lois d’interactions de Newton. Il se trouve impossible, sinon arbitrairement, de donner un sens au temps, et on pourrait ainsi dérouler la suite des événements dans un sens tout comme dans l’autre.

Boltzmann

Gardons à l’esprit ces idées, et ramenons les à cette époque glorieuse ou des hommes ont imaginés le Big Bang. Gardons aussi ce bon vieux temps newtonien, comme une droite infini, sans direction, et existant de toute éternité. Si on repense alors à nos cubes, à un instant donné, on doit pouvoir aller dans un sens comme dans l’autre, et de la même manière, on peut penser le Big Bang comme un cube à la répartition de matière très particulière, et on peut ainsi, sous une certaine perspective, imaginer un pré-Univers en contraction, suivi alors du Big Bang et de l’Univers que nous connaissons, ou bien en changeant le sens du temps comme on pouvait le faire pour nos cubes, on peut imaginer le fil de notre existence comme se déroulant à l’envers, et ce pré-Univers qui dans une certaine perspective s’effondrait, devient à présent un Univers jaillissant, issu de notre propre contraction. Si ainsi les lois qui gouvernent à l’apparition de la vie sont d’une nature causale, et puisque la causalité en physique newtonienne n’est pas temporellement orientée, il pourrait exister de l’autre côté du Big Bang des êtres dont le temps, de notre point de vu, s’écoule à l’envers, tout aussi étrange que cela puisse paraître.

Boltzmann

Bien sûr, ce modèle ici est pour de nombreuses raisons très naïf au regard des acquis sur le temps de la relativité et de la mécanique quantique. Pour autant, ces acquis n’invalident pas la “représentation de Boltzmann”, mais au contraire, ils la renforcent et l’enrichissent. On ne peut en effet penser des régions antichrones dans le présentisme, et il est ainsi bienvenue que l’éternalisme soit une conséquence de la relativité restreinte. De même, l’impossibilité à un niveau fondamental de discerner le temps de l’espace, amène à conjecturer l’existence d’une multiplicité de flèches du temps.

Grand rebond

Pour des raisons conceptuellement assez élégantes, liées à la réversibilité des lois de la physique, et donc indépendantes de tout modèle mathématique, cette idée d’un grand rebond, ou celle équivalente d’un autre versant de l’Univers semble assez vraisemblable. Dans Mécaniques - des fragments d’espace-temps, nous étendons ce modèle naïf en tenant compte des acquis de la relativité générale et de la mécanique quantique allant jusqu’à considérer des effets d’intrication d’un versant à l’autre de l’Univers. Au lieu de pans ouverts à l’infini, vers le passé et le futur, nous arrivons même, pour des raisons assez subtiles, à la conclusion, en apparence antinomique avec cette idée de grand rebond, que l’Univers est fini et sans bord, autant spatialement que temporellement, avec une flèche du temps nous apparaissant pour des raisons anthropiques et entropiques.

Conclusion

L’idée de grand rebond, bien qu’incomplète, constitue cependant une rupture épistémique forte avec le modèle du Big Bang jusqu’alors dominant, qui perd sont status d’instant zéro, pour ne devenir plus qu’une étape dans la longue histoire de l’Univers.

Crédits : illustration des livres du Disque-monde de Terry Pratchett par Paul Kidby.


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